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Le déterminisme

Par Christian Feron le 05/01/2020 - actualisé le 10/05/2020

Le déterminisme« Il y a une marée dans les affaires des hommes, prise dans son flux elle porte au succès. Mais si l'on manque sa chance, le grand voyage de la vie s'échoue misérablement sur le sable » (Jules César - Shakespeare)

Nos trajectoires de vie sont-elles prédéterminées, fixant notre destin sans que nous ayons le pouvoir d'y changer quelque chose ? A cet égard, nous croyons chacun ce que nous voulons bien. Mais croire n'est pas savoir. L'idéal serait de pouvoir répondre à cette question de manière scientifique.

Or, la notion de prédéterminisme repose sur l'existence d'un être immanent que l'on nommerait Dieu, et qui fixerait les événements à l'avance. On comprend alors mieux le souci : faute de pouvoir prouver l'existence de Dieu, il n'est pas possible de prouver celle du prédéterminisme non plus.

En revanche, nous sommes parfaitement certains de l'existence du déterminisme : les causes sont à l'origine d'effets dont nous subissons les conséquences. Mais nous oublions trop souvent qu'il existe plusieurs déterminismes qui font de nos vies ce qu'elles sont. Pour paraphraser Shakespeare, de grandes marées...

Au sommaire de cette page :

  1. Le déterminisme génétique
  2. Le déterminisme géographique
  3. Le déterminisme social
  4. Loterie de la naissance
  5. Position, compétences et chance
  6. Le déterminisme du hasard
  7. L'imprévisible
  8. Peut-on supprimer le hasard dans un jeu ?
  9. Conclusion : le démon de Laplace joue-t-il aux dés ?

Le déterminisme génétique


Le déterminisme génétique concerne les maladies pouvant se transmettre d'une génération à l'autre (mucoviscidose, drépanocytose, trisomie...). Actuellement, c'est dans ce sens qu'il est utilisé dans le domaine médical (1).

Cependant, la génétique fixe également les caractéristiques de comportement général d'une espèce : par exemple, les oiseaux peuvent voler parce qu'ils ont des ailes, mais les poissons ne le peuvent en général pas.

Dans le cas des êtres humains, nous disposons de l'instinct de survie, dont découle directement le sens de la prédation, afin de trouver des ressources et satisfaire nos besoins.

Le défaut congénital de l'espèce humaine

Exemple de causalité provenant
d'un déterminisme génétique (2)

Viennent ensuite les rapports de domination pour obtenir davantage de ressources, par exemple au moyen de conflits et de guerres. Ou bien, en faisant travailler les autres à sa place, au moyen de l'esclavage ou du contrôle social.

Tout cela mènera forcément à des rapports de force continuels, ainsi qu'à des formes de société nécessitant toujours davantage plus de contrôle (3), dans le but d'en assurer la stabilité à long terme. En ce sens, le déterminisme génétique peut se trouver à l'origine d'un déterminisme social.

Le sort d'une espèce est déjà fixé dans ses gènes, pour ainsi dire. Le simple fait d'être né humain nous soumet au déterminisme génétique propre à notre espèce.

Le déterminisme géographique


Une société sera forcément influencée par son environnement, à cause des ressources disponibles et du climat. Les facteurs d'explication naturels ne résolvent pas tout, car il faut tenir compte des facteurs d'explication sociaux aussi (4).

Village devant la mer

L'Arctique n'offre pas les mêmes ressources

Toutefois, il est bien évident que, si vous étiez né au Groenland dans le peuple Inuit, vous auriez probablement eu l'occasion de bâtir quelques igloos. Mais que, si vous étiez venu au monde à New-York dans la bonne famille, vous auriez eu la possibilité d'agencer des lotissements entiers.

Les possibilités de réussite sociale ne sont pas identiques selon les pays, malheureusement.

Le déterminisme social


La notion de déterminisme social part de l'idée que la position sociale d'un individu dépend de la classe socio-professionnelle de ses parents. Nous serions, en quelque sorte, prédestinés à une position sociale selon nos origines socio-économiques. (5)

La pyramide du capitalisme

En d'autres termes, imaginez un jeu de Monopoly™ où tous les joueurs commenceraient à jouer en même temps, mais où vous commenceriez à la case « Départ », alors que d'autres auraient déjà plusieurs tours d'avance, selon le milieu social d'où ils sont issus.

Pensez par exemple aux diplômes : tout le monde n'a pas forcément les moyens d'envoyer ses enfants dans les meilleures écoles. La réussite professionnelle peut s'en ressentir par la suite.

Un exemple de hiérarchie sociale

Dans la société indienne, il était difficile d'échapper à sa condition sociale à cause du système des castes : Brahmanes (prêtres), Kshatriyas (guerriers), Vaishyas (artisans, commerçants, hommes d'affaires, banquiers), Shudras (employés, serviteurs), Dalits (intouchables, hors-castes).

Il était quasiment impossible à un intouchable de s'élever socialement. Le système s'est assoupli depuis, bien que un Indien sur 4 vive avec moins de 1,25 $ par jour.

Darwinisme social

Bien que cette expression repose sur un malentendu, le darwinisme social désigne l'évolution des sociétés en fonction de la survie des individus les plus aptes. En résumé, les sujets les plus doués sont censés parvenir au sommet de la pyramide sociale.

Mais, si l'on poursuivait la logique du darwinisme social (6) jusqu'à son aboutissement ultime, le résultat serait la dictature ou le nazisme : les personnes les plus puissantes feraient tout pour conserver leurs avantages.

Pourquoi s'arrêter en si bon chemin ?

L'expression « Darwinisme social » repose sur un malentendu, car Charles Darwin pensait que l'empathie et la sociabilité étaient des qualités que l'évolution humaine aurait sélectionnées.

Quand la sélection naturelle devient dysgénique

La sélection naturelle est, en quelque sorte, l'eugénisme de la nature. Elle permet de conserver les sujets les plus aptes d'une espèce. Mais ne peut-elle pas, dans certains cas, produire le résultat contraire ?

Au sommet de la société, l'oligarchie n'est pas particulièrement douée pour la survie dans le milieu naturel, contrairement à d'autres individus plus « rustiques ».

De plus, les familles princières avaient, dans le passé, une tendance nette à la consanguinité. Selon les idées d'un passé révolu, le sang ancestral aurait été meilleur si l'on ne le mélangeait pas.

Le plus bel exemple - si l'on peut dire - se trouvait dans la maison des Habsbourg avec Charles II d'Espagne, surnommé « l'ensorcelé » à cause des différentes pathologies dues à des unions consanguines trop nombreuses.

Charles II, roi d'Espagne, des Indes, de Naples, de Sardaigne et de Sicile, duc de Bourgogne et de Milan, souverain des Pays-Bas (1665 - 1700)

Charles II d'Espagne fut le dernier de sa lignée, car il était également infertile. Mort à 35 ans, il fut un malheureux exemple de déterminisme génétique et social, mais également de dysgénie.

Les boucles de rétroaction psycho-sociales

Dans la saga Fondation écrite dans les années 1940, relatant l'épopée d'un empire galactique, Isaac Asimov décrivait la psycho-histoire, une science créée de toutes pièces pour prévoir l'avenir d'une civilisation.

En fait, ce concept n'est pas de la science-fiction. Isaac Asimov se basait sur son passé d'universitaire, et par l'observation de cycles répétitifs dans l'histoire. Il s'est, tout simplement, inspiré de la réalité.

Boucle de rétroaction psycho-sociale

Exemple simple de boucle de rétroaction psycho-sociale

Nous n'avons pas réellement conscience de ces cycles, car ceux-ci s'étendent souvent sur plusieurs générations. Ce qui a commencé au temps du père trouve son aboutissement à l'époque de l'arrière-petit-fils, voire plus loin encore.

Ces cycles existent aussi au niveau monétaire: au début, une monnaie est en or et circule dans les mains du peuple ; elle est ensuite remplacée par des métaux sans grande valeur, puis par du papier ; puis le papier finit par ne plus rien valoir. Exemples : les titres de la Compagnie des Indes au début du 18e siècle ; les assignats lors de la Révolution française ; le dollar qui a perdu plus de 95 % de sa valeur par rapport à l'or depuis 1913.

Dollar contre gold depuis 1913

Valeur du dollar contre l'or depuis 1913 : nous arrivons en fin de cycle.

Idem pour les périodes de guerre suivies d'une période de croissance. Les motifs idéologiques sont des sornettes que l'on raconte aux populations, afin de mobiliser celles-ci à l'aide de l'outil de propagande.

Dans une optique de gestion patrimoniale s'étendant sur plusieurs générations, avec une stratégie de transmission familiale, il est donc essentiel de connaître le cycle général, puis d'identifier à quelle période de celui-ci l'on se trouve.

Les jardins d'Arles - Vincent Van Gogh

Ce que nous achetons maintenant coûtera combien demain ? Ici, un tableau de Van Gogh, vendu à l'époque contre quelques sous...

La loterie de la naissance


Selon l'endroit où nous venons au monde, le déterminisme génétique, géographique et social va ébaucher nos trajectoires de vie. Cela s'appelle la loterie de la naissance.

Ne pas accepter ce constat est une forme de déni. La loterie de la naissance est connue depuis longtemps. En effet, en 1754, Etienne de la Boétie écrivait dans le Discours de la servitude volontaire : « ils [les hommes] prennent pour leur état de nature l'état de leur naissance. » Né prince ou esclave, l'homme accepte sa condition de naissance comme étant naturelle. Dans la plupart des cas, il s'en contentera jusqu'à la fin de ses jours.

Les chances de naître dans un pays pauvre, plutôt que dans un pays riche, sont plus nombreuses. La destinée d'une personne s'en ressentira forcément.

Cela ne poserait guère de problèmes de créer un programme de simulation informatique, où l'on attribuerait un nombre de points à un avatar, selon son déterminisme génétique, géographique et social, ses diplômes et ses compétences.

Cet avatar évoluerait sur un plateau avec les différentes expériences de la vie, celles-ci correspondant à un nombre de points positif ou négatif :

  • un nouvel emploi mieux rémunéré, + 10 points ;
  • un divorce qui s'est mal passé, - 10 points ;
  • chômage, - 20 points ;
  • né dans une famille bourgeoise, + 40 points...

Le solde restant indiquera la position de l'avatar dans la société.

Naître dans un bidonville et finir dans une villa avec piscine, quelles probabilités ?

En ce sens, nos vies ne sont que le résultat d'une gigantesque addition, dont les termes ne nous apparaissent qu'avec les années. Les causes apparaissent alors plus clairement, venant poser la question du déterminisme.

Une personne mal née pourrait-elle échapper à sa condition ? Si elle le pouvait, alors cela démontrerait qu'un déterminisme absolu n'existe pas. Cela laisserait la porte ouverte à l'espoir.

Mais de quels moyens cette personne dispose-t-elle en réalité ?

Position, compétences et chance


En termes de déterminisme, laquelle de ces trois choses est la plus importante : la position sociale, les compétences ou la chance ?

La position sociale

La position sociale est la conséquence du capital financier, social et culturel. Soit l'on vient au monde avec, soit ils sont constitués avec les moyens dont on dispose.

Il y a ceux qui possèdent l'outil de production et ceux qui fournissent leur force de travail. C'est du marxisme de base, où la bourgeoisie se trouve opposée au prolétariat dans un cadre de lutte des classes, sous les seuls auspices du capital économique.

Evidemment, posséder une belle usine toute équipée ne sert à rien, si personne ne fait fonctionner les machines. Ceux qui produisent sont donc indispensables, mais tel n'est pas le cas de ceux qui dirigent, car les ouvriers pourraient aussi travailler en tant qu'artisans établis à leur compte.

L'artisan dans le jeu divinatoire de Mlle Lenormand (1772-1843). La couleur de la blouse n'a pas changé depuis le 18e siècle - toujours bleue - de même que la position sociale : en général peu de richesses, malgré une activité laborieuse.

Grand Lenormand (7). La position sociale du conquérant est plus haute, mais aussi plus brève : Napoléon est mort à 51 ans.

Cette inégalité trouve sa solution dans le capital et l'autorité que celui-ci confère. La main qui donne est au dessus de la main qui reçoit, disait Napoléon. Il s'agit donc bien d'une notion de position.

Heureusement, le binome du marxisme (bourgeoisie contre prolétariat) a été complété par la triple hiérarchisation de Max Weber connue vers 1930, puis par l'espace social défini par Pierre Bourdieu en 1978, avec la distinction entre capital économique, social et culturel.

Nous arrivons ainsi aux classes socio-professionnelles qui sont notamment utilisées par l'INSEE. Il en découle une position définie de l'individu dans la société.

Les compétences

Quelle est la principale différence entre diplômes et compétences ? Avoir un diplôme donne une position, une qualité. En effet, le diplôme est une reconnaissance définitivement acquise, alors qu'être reconnu comme un ouvrier compétent nécessite un travail continuel.

Pourtant, il ne s'agit que de la reconnaissance d'une valeur d'usage, comme le rappelle le sociologue Bernard Friot qui milite pour le salaire à vie, dans la thématique du revenu universel. (8)

Quelle est la valeur d'usage des compétences ?

Toutefois, la production repose sur la compétence, sans laquelle rien ne pourrait être fait. Mais ceux qui produisent sont exploités.

A cet égard, Voltaire écrivait : « Un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ». Voltaire parle d'exploiter la spoliation légale et le parasitisme social pour les intérêts d'une soi-disant élite (9).

La chance

Par définition, le hasard n'existe pas, puisqu'un événement est la conséquence d'une cause. Il n'existe pas de hasard pour la simple raison qu'il n'existe pas d'événement sans cause.

La chance est un synchronisme d'événements fortuits, qui aura des conséquences heureuses dans le cas de la chance, malheureuses dans le cas de la malchance.

Ligne de chance

La notion de synchronisme est importante, vous la retrouverez forcément dans l'étude des phénomènes dits aléatoires.

Par exemple, au Moyen-Age, on pensait que les éclipses se produisaient par hasard, voire qu'elles étaient un signe de Dieu annonçant une catastrophe. Grâce à l'astronomie, on sait désormais qu'il s'agit d'un synchronisme entre la position du Soleil, de la Lune et de la Terre, permettant d'en calculer les dates plusieurs siècles à l'avance (10).

Quel est le plus important des trois ?

S'il fallait les classer selon l'ordre d'importance, je dirai : la chance en premier, la position sociale en deuxième, les compétences en dernier. Les trois sont toutefois indispensables.

Pour illustrer cela, voici une expérience de pensée. Imaginons un individu disposant d'une position sociale élevée ainsi que de bonnes compétences. Trois cas de figure :

  • soit il n'a pas de chance, mais pas de malchance non plus : il restera probablement dans sa classe sociale d'origine.
  • soit il est victime de malchance : le résultat pourrait être un déclassement social et la ruine.
  • soit il bénéficie de chance : il pourrait alors évoluer vers une classe sociale supérieure et augmenter sa fortune.

Certes, la chance et la malchance peuvent parfois se mélanger :

  • la chance dans la malchance. Qui n'a pas entendu la phrase « Dans votre malheur, vous avez de la chance, car cela aurait pu être pire ».
  • la malchance dans la chance. « Votre vie était trop parfaite, alors ne vous étonnez pas si une catastrophe vous est arrivée ».

Le simple fait de naître au bon moment et au bon endroit est déjà une chance. A compétences égales, que seraient devenus Bill Gates (11), Steve Jobs (12), Larry Page et Sergey Brin (13), Madonna (14), s'ils étaient venus au monde ailleurs qu'aux Etats-Unis, et à une autre époque ?

D'ailleurs, même Napoléon reconnaissait le rôle de la chance. Il avait dit à un jeune officier, le major de la promotion : « Vous vous battez bien au sabre, vous êtes le meilleur parmi vos camarades, mais avez-vous le plus important, la chance ? »

Il n'y a que les sots qui défient l'inconnu (Napoléon)

On dit parfois que la chance de quelqu'un est la malchance d'un autre. Par exemple, dans une loterie, une multitude de perdants pour un gagnant. Mais les mouvements de la grande roue sont-ils réellement inquantifiables et imprévisibles ?

La roue de fortune dans le tarot

A un moment donné, ce qui est en haut n'a pas d'autre possibilité que de descendre, et ce qui est en bas, d'autre possibilité que de monter, puisque nous vivons dans un système dynamique - le monde - qui est en perpétuel mouvement.

La chance est le résultat d'un flux pseudo-aléatoire d'événements. Pour aller plus vite, la plupart des gens l'appellent « hasard ». Malheureusement, en concevant la chance uniquement ainsi, ils ne la définissent pas plus avant, et donc, ils ne cherchent pas à analyser les causes de celle-ci.

Aussi, maintenant, regardons de plus près les turbulences de ce flux...

Le déterminisme du hasard


La plupart des gens pensent que n'importe quoi peut se produire à cause du hasard. Par conséquent, celui-ci serait totalement indéterminé. Or, c'est inexact. Parfois même, le hasard peut donner des résultats prédictibles. En voici quelques exemples.

Lancer d'une pièce de monnaie

Jetez une pièce de monnaie (non truquée) en l'air, puis notez le côté où elle tombe. Faites cela un million de fois de suite. Le résultat sera compris entre 499 000 et 501 000 fois pour la face pile, avec une probabilité d'erreur de 5 %. La loi des grands nombres explique ce phénomène (15).

Approximation de Pi par un lancer de fléchettes

On lance des fléchettes au hasard sur un disque contenu dans une aire carrée. On compte les impacts sur le disque et au dehors, pour en faire le rapport. On peut ainsi obtenir une approximation de Pi. Cela s'appelle la méthode de Monte-Carlo (16).

La cible

Les aiguilles de Buffon, jetées au hasard sur un parquet, permettent d'obtenir également une approximation de Pi (17).

Les lapins de Fibonacci

Bien que les lapins se reproduisent au hasard, le nombre de couples descendants est déjà connu. c'est la suite de Fibonacci (18), dans laquelle le terme suivant est la somme des deux termes précédents : 0, 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34...

La longueur des fleuves et la loi de Benford

Faites la liste des longueur des fleuves. Faites aussi celle de l'altitude des montagnes. Bien que ces mesures dépendent du hasard, le résultat sera conforme à la loi de Benford (19) : les nombres commençant par 1 seront les plus représentés.

En fait, ces nombres respecteront à peu près le pourcentage de répartition suivant :

Si le hasard était ce que croient la plupart des gens, c'est-à-dire totalement indéterministe, la loi de Benford ne pourrait pas fonctionner.

La loi de Benford est notamment utilisée par le Fisc pour détecter des fraudes dans la comptabilité des entreprises. Si la répartition des chiffres d'un bilan ne correspond pas à celle de la loi de Benford, une suspicion de fraude est possible.

L'imprévisible


Les cygnes noirs, imprévus ou déterminisme ?

Dans son essai « Les cygnes noirs » paru en 2007, Nassim Taleb donne l'exemple d'une dinde de Thanksgiving pour illustrer l'exemple des cygnes noirs.

Une dinde se croit chanceuse en pensant : « Bien que je ne fasse rien, on me donne à manger tous les jours ». Comme on prend soin d'elle, elle est contente de la ferme où elle vit. Si elle tenait des statistiques sur sa nourriture, chaque mois passé confirmerait sa confiance dans l'avenir.

Quel sera le destin de cette dinde bien dodue ?

Puis, au dernier jour de l'année, elle finit décapitée dans les belles assiettes de Thanksgiving. Pourtant, rien ne laissait prévoir une telle fin à la pauvre bête, et certainement pas les relevés mensuels de son alimentation. Tant que tout allait bien pour elle, elle ne se posait pas de questions.

Peut-on parler de chance ou de malchance ? Même pas, puisque son destin était déterminé à l'avance. Quelle erreur a-t-elle commise ? De manger tous les jours sans penser que « Si c'est gratuit, alors c'est que vous êtes le produit » ? Non... Son erreur a été de ne pas tenir compte de l'imprévu.

Pour la dinde, il s'agit d'une suite d'événements fortuits. Pour son propriétaire, d'une suite d'évenements voulus. Mais la dinde ne peut pas le savoir, puisque sa position ne le lui permet pas.

« On nous pêche », écrivait Charles Fort, comme si nous étions des poissons avec des appâts au dessus de nos têtes. Mais, contrairement aux poissons, nous pouvons éviter les appâts. A moins que nous ne soyons tous des dindes ?

Les cygnes noirs et l'histoire

Le plus souvent, le plus probable se produit, le plus improbable ne se produit que très rarement. Mais qu'est-ce qui finit toujours par arriver ? L'imprévu.

Le naufrage du Titanic

D'ailleurs, si vous tenez votre comptabilité vous-même, quel sera le poste que vous n'oublierez pas ? Une provision pour les imprévus...

Voici quelques exemples de cygnes noirs (20). Qui aurait pu croire  :

  • que le Titanic coulerait lors de son premier voyage en 1912.
  • que la Russie ne rembourserait pas ses emprunts en 1917, alors qu'aucun Etat n'avait jamais fait défaut sur sa dette jusque-là.
  • qu'une épidémie de grippe espagnole surviendrait en 1918, faisant environ 50 millions de morts.
  • que la crise économique américaine de 1929 surviendrait, alors que le marché boursier était en progression constante.
  • que le zeppelin Hindenburg prendrait feu en 1936 à Lakehurst aux Etats-Unis, alors qu'il avait été construit avec le meilleur de l'industrie allemande.
  • que JFK serait assassiné en 1963 à Dallas, alors que les présidents américains sont parmi les mieux protégés au monde.
  • qu'une princesse anglaise, Lady Di, mourrait dans un accident de voiture en 1997 à Paris, alors que le véhicule était en parfait état.
  • que le Concorde, l'un des avions les plus sûrs du monde, s'écraserait à Gonesse le 25 juillet 2000.
  • que deux avions de ligne s'encastreraient dans les Twin Towers le 11 septembre 2001.
  • qu'une épidémie de coronavirus se répandrait dans le monde en 2020... etc.

Lorsqu'un cygne noir se produit, nous devrions envisager deux possibilités :

  • soit il s'agit d'un synchronisme de causes fortuites - comme pour le Titanic, car personne ne voulait qu'il coule (donc, malchance).
  • soit il s'agit d'un synchronisme de causes voulues, causes dont on n'a pas forcément été informé (comme la dinde de Thanksgiving).

La théorie du cygne noir reprend des aspects déjà évoqués par des philosophes, des physiciens et des ingénieurs, montrant ainsi que le problème est bien réel. A cet égard, l'on peut citer :

Pour résumer en utilisant un exemple, tous les spectateurs d'un opéra voient la scène et ses acteurs, mais qui sait exactement ce qui se passe en coulisses ? Le voile des apparences recouvre les réalités. Le monde sensible dissimule le monde intelligible, aurait certainement dit Platon.

Seul ce qui est strictement impossible ne se produit jamais. Pour tout le reste, c'est une question de moyens et de forces en présence, mais la chance ou la malchance ne peuvent pas toujours être éliminées de l'équation. Quoique...

Peut-on supprimer le hasard dans un jeu ?


Logiquement, il s'agit d'une question stupide puisque, par définition, l'on ne peut pas éliminer le hasard d'un jeu, car c'est sa principale caractéristique. Et pourtant... Voici une anecdote montrant qu'il est possible, dans certains cas, de retirer celui-ci de l'équation.

Lorsque la Loterie de l'école militaire avait été créée en 1757, Casanova avait travaillé sur ce projet en mettant certaines personnes en relation, parmi lesquelles madame de Pompadour qu'il avait personnellement rencontré.

Madame de Pompadour, maîtresse du roi Louis XV

En récompense de ses bons offices, il lui fut attribué six licences de bureaux de recette. Il en vendit cinq pour investir dans le sixième, qu'il fit aménager somptueusement afin de recevoir la noblesse fortunée de l'époque.

Un bureau de recette au 18e siècle

Tous les bureaux travaillaient en régie et payaient les gains la semaine d'après, sauf Casanova qui avait décidé de payer dès le lendemain même, afin d'attirer les meilleurs clients. Pour cela, il utilisait sa cassette personnelle, puis récupérait les sommes auprès de la régie après une semaine. Ce système était imparable, du moins logiquement, mais...

Le tout premier tirage se passa très bien, et Casanova réalisa un superbe bénéfice. Malheureusement, le deuxième tirage fut une catastrophe pour lui, à cause d'un grand gagnant dont il dut régler le gain. Cela l'obligea à emprunter, car il n'avait pas la trésorerie nécessaire pour tenir huit jours.

Le plus curieux est ce deuxième tirage désastreux pour Casanova. Il était particulièrement improbable que cela se produise quasiment dès le départ, étant donné les chances extrêmement faibles que cette ancienne loterie donnait. Alors, un cygne noir ? Sauf que...

Un tirage au 18e siècle

Casanova n'a pas envisagé un seul instant que le deuxième tirage ait pu être arrangé. D'ailleurs, c'était impossible à priori : la personne effectuant le tirage ignorait quels numéros elle extrayait, car ceux-ci se trouvaient dans des étuis en cuir parfaitement identiques.

Casanova ne le savait probablement pas à ce moment-là, mais il suffisait de réchauffer ou de refroidir les étuis contenant les numéros devant gagner. Le préposé du tirage pouvait ainsi les reconnaître au toucher. Le crime parfait, puisque les étuis retrouvaient leur température normale quelques instants après.

Giacomo Casanova (1725 - 1798)

Avec son idée de payer les gains dès le lendemain, Casanova s'était mis à dos les autres bureaux de jeu ainsi que la régie. Simple avertissement, car le célèbre vénitien avait négligé un point : l'organisateur du jeu reste, quoiqu'il arrive, maître de sa loterie...

Conclusion : le démon de Laplace joue-t-il aux dés ?


Pour continuer sur le déterminisme, j'aurais pu parler aussi de la relation entre la planche de Galton et les courbes de Gauss (21), de l'attracteur étrange de Lorenz (22), de la théorie du chaos et de l'effet papillon (23), de la synchronicité (24)...

Au lieu de cela, laissons Laplace nous parler de son démon (ou génie, selon les commentateurs) :
« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d'ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l'analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux. »
(Pierre-Simon Laplace, Essai philosophique sur les probabilités 1814)

Mais un dialogue entre Laplace, Alfred Einstein et Niels Bohr, s'il avait pu se produire, aurait été plus parlant :
- Laplace : Mes amis, le hasard est à la mesure de notre ignorance.
- Einstein : Oui, car Dieu ne joue pas aux dés.
- Bohr : Einstein et Laplace, cessez de dire à Dieu ce qu'il doit faire !

La nature par les nombres - Nature by numbers

La nature par les nombres

 

Notes et sources

  1. Du déterminisme génétique aux tests (Inserm)
  2. Exemple du sens de la prédation : la bataille pour des pots de Nutella. Ce qui pose la question : en cas de pénurie de carburants, jusqu'où seriez vous prêts à aller pour faire le plein ?
    Scènes d'émeute pour du Nutella
  3. A propos du contrôle social...
    Pour la Chine, un système de crédit social sera généralisé en 2020 :
    Système de crédit social (Wikipedia)
    La reconnaissance faciale s'y généralise aussi :
    La reconnaissance faciale va-t-elle virer au cauchemar ? (capital.fr)
    La carte d'identité en Inde est désormais biométrique :
    L'inde teste les limites de la carte d'identité biométrique (Les Echos)
    Le numéro de Sécurité sociale a été inventé par le régime de Vichy, le premier chiffre pouvait servir à identifier les juifs :
    L´INSEE avoue son passé sous l´Occupation (Le Parisien)
  4. Déterminisme géographique (Wikipedia)
  5. Luttons contre notre cher déterminisme social (institutsapiens.fr)
  6. Darwinisme social (Wikipedia)
  7. Le grand Lenormand (Bibliothèque nationale)
  8. Bernard Friot : Le salaire à vie comme antidote au chômage (vidéo)
  9. On connaît le résultat aujourd'hui, depuis l'écroulement du communisme, les crises économiques et le chômage du monde capitaliste. C'est la loi de Bitur-Camembert. Voir : Loi de Bitur-Camembert (Wikiberal)
  10. A propos d'une nouvelle liste d'éclipses de Lune
  11. Bill Gates, fondateur de Microsoft, deuxième plus grande fortune du monde en 2019 (selon Forbes).
  12. Steve Jobs, fondateur de Apple, 110e fortune du monde en 2011 (selon Forbes).
  13. Larry Page et Sergey Brin, fondateurs de Google, 55e fortune du monde en 2005 (selon Forbes).
  14. Madonna était arrivée à New-York avec seulement 35 dollars en poche en 1978. En 2018, elle était la 36e femme la plus riche des Etats-Unis (selon Forbes).
  15. Loi des grands nombres (Wikipedia)
  16. Méthode de Monte-Carlo (Wikipedia)
  17. Aiguille de Buffon (Wikipedia)
  18. Suite de Fibonacci (Wikipedia)
  19. Loi de Benford (Wikipedia)
  20. Théorie du cygne noir (Wikipedia)
  21. Planche de Galton (Wikipedia)
  22. Attracteurs étranges (vidéo)
  23. Effet Papillon et Théorie du Chaos (vidéo)
  24. Synchronicité (Wikipedia)