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La protection des éditeurs et le statut des écrivains

Par Christian Féron - 17 avril 2016

Si les éditeurs ne prennent pas votre manuscrit, pourquoi ne pas le diffuser gratuitement sur le web ? Il ne rapportera rien non plus, mais au moins, il sera lu.

Avant, pour un écrivain, les éditeurs étaient un passage quasiment obligatoire pour se faire connaître. Mais la donne a changé avec Internet. La position des grandes maisons d'édition est devenue fragile : comment lutter face à des géants du net proposant des ebooks au tiers du prix, voire même gratuits ?

Le cauchemar des éditeurs

Le cauchemar des auteurs et des éditeurs : les invendus finissent au pilon

Le mauvais réflexe

Combien de fois ai-je entendu cette phrase : « Je veux écrire un livre pour faire de l'argent. Peux-tu me trouver quelqu'un pour l'écrire ? Je suis prêt à faire part à deux ». Au passage, cela revient à réaliser un travail pour la moitié de ce qu'il vaut.

Et puis, écrire un livre pour de l'argent, ce n'est pas cela, un véritable écrivain : rappelez-vous de Kafka, l'un des plus grands écrivains mondiaux. Il serait mort inconnu sans l'intervention de Max Brod.

Puisque ces gens-là ont de si bonnes idées (gagner de l'argent), pourquoi ne prennent-ils pas la plume eux-mêmes ?

La raison en est simple : écrire un premier livre n'est pas rentable. A supposer le stade du comité de lecture franchi, toutes les rectifications demandées faites et le contrat d'édition signé, l'avance sera peut-être de 1500 euros environ.

Ensuite, il faudra attendre une année au moins avant de toucher le reste. A supposer 2000 exemplaires vendus - ce qui est déjà un résultat, de nos jours... - le produit de l'opération se montera probablement à 2500 euros, en tout, pour l'auteur. La belle affaire pour un livre qui aura demandé plus d'un an de travail.

Avec si peu d'exemplaires écoulés, le bénéfice de notoriété sera à peu près inexistant. Sauf au vin d'honneur de la mairie, à l'occasion des voeux de début d'année . Maigre consolation.

Un véritable écrivain écrit d'abord parce qu'il a des choses à dire. Dans cette démarche, l'argent est secondaire. S'il écrivait pour de l'argent uniquement, il ne serait qu'une sorte de... prestataire de service !

Internet a changé la donne

Si l'on vous donnait le choix suivant : écrire un livre, mais toucher une misère et n'avoir que peu de lecteurs. Ou bien le diffuser gratuitement, afin d'avoir le maximum de lecteurs. Que choisiriez-vous ?

Avant de décider, pensez que le nombre de lecteurs vous donnera, automatiquement, une certaine notoriété - voire même une autorité sur un sujet donné. De même, le jour où vous proposerez un manuscrit à un éditeur, vous pourrez lui dire sans mentir : « j'ai déjà 10 000 ( ou plus) lecteurs ». Dans ce cas, l'avance ne sera pas la même, le contrat sera plus avantageux pour vous...

Aussi, il ne faut pas s'étonner si des écrivains proposent leur oeuvre gratuitement, juste pour se faire connaître. Voici d'autres avantages :

  • absence du barrage des comités de lecture ;
  • l'auteur reste propriétaire des droits de son livre ;
  • pas d'engagement sur de futurs livres à écrire.

Ce n'était pas possible avant Internet, mais représente un danger pour les maisons d'édition. Voici pourquoi.

La gratuité est un cocktail Molotov

En moyenne, les Français lisent seulement 15 livres par an. La masse des livres disponible sans dépenser est déjà importante. De plus, chaque année, quelques écrivains proposent leurs ouvrages gratuitement. S'ils étaient seulement une vingtaine à le faire, leur production saturerait déjà la demande moyenne.

Or, la France compte 66 millions d'habitants. Parmi ceux-ci se trouve certainement, chaque année, une vingtaine de personnes prêtes à diffuser leur livre gratuitement, uniquement pour se faire connaître. Ou, plus égoïstement, pour la satisfaction d'avoir davantage de lecteurs que des hommes politiques connus...

Parmi ces personnes, quelques-unes sont au chômage, voire même en fin de droits et touchant le RSA. Il serait cocasse qu'elles ravagent un secteur de l'économie française grâce aux allocations de l'Etat et des Régions. En effet, rien ne leur interdit de consacrer une ou deux heures chaque jour pour écrire, tout en préparant leur recherche d'emploi. Après tout, ce temps leur appartient aussi : pourquoi n'en profiteraient-elles pas ?

Il peut aussi s'agir de retraités profitant de leur temps libre et qui, la tête remplie de souvenirs, prendront la plume afin de laisser une trace de leur passage sur Terre.

Enfin, il y a ce vieux manuscrit de jeunesse oublié au fond d'un tiroir. Pourquoi ne pas le diffuser, même gratuitement, plutôt que de le voir continuer à prendre la poussière pour rien ?

En ce sens, la gratuité est plus révolutionnaire qu'une dizaine de cocktails Molotov lancés au cours d'une manifestation. En effet, pendant que vous lisez un ouvrage gratuit, il vous est impossible d'en lire un payant en même temps. Cela provoque automatiquement une baisse du chiffre d'affaires des éditeurs.

Exemple : Imaginez un ebook gratuit diffusé à 10 000 exemplaires. La perte pour les éditeurs sera double :
- manque à gagner : si ce livre avait été payant, il aurait permis de gagner 10 000 x 20 euros l'exemplaire (en moyenne) = 200 000 euros.
- On ne peut pas lire un livre payant pendant la lecture d'un gratuit. Pour tout gratuit, il y a donc un payant qui ne se vend pas. D'où perte directe de 10 000 x 20 euros l'exemplaire (en moyenne) = 200 000 euros.
Total de cette estimation : diffusé à 10 000 exemplaires, un livre gratuit fera perdre 400 000 euros aux éditeurs. Faites le total pour 10 livres gratuits... A cet égard, la gratuité est pire qu'un cocktail Molotov.
Or, actuellement, il vous faudrait au minimum 100 ans pour lire tous les livres gratuits en circulation (domaine public inclus) avec votre liseuse, à raison de 15 par an.
D'où une question : à terme, combien de maisons d'édition survivront à la révolution numérique ? Dommage si vous leur avez vendu les droits de votre manuscrit, ce sera très difficile pour vous de les racheter pour vous faire éditer ailleurs...

La liberté d'expression

Certaines personnes se plaignent que la liberté d'expression n'existe plus dans notre pays. Est-ce vraiment exact ? Car vous pouvez diffuser vos écrits, vos idées, ce que vous avez à dire, sur des sites spécialisés dans l'édition en ligne. Et cela, gratuitement...

Profitez de ce pouvoir, celui de vous exprimer et de partager avec les autres. Car écrire, même gratuitement, est un pouvoir : au lieu de vous lamenter sur la liberté d'expression, écrivez et mettez en ligne vos ebooks gratuits. Comment voulez-vous faire bouger les lignes si vous ne faites rien ?

Comment écrire un roman ? Pas si compliqué...

Sacha Guitry était capable d'écrire une pièce de théâtre en une après-midi, disait son secrétaire particulier Stéphane Prince. Il était bien placé pour le savoir, puisqu'il le voyait presque tous les jours. Voilà l'un des secrets de Guitry : c'était de faire ce qu'il appelait un singe. Le singe est le plan du livre, un peu comme une table des matières. Comme ceci :
- scène 1 : le héros, de retour de voyage, rentre chez lui.
- scène 2 : il découvre que sa femme, pendant ce temps, l'a trompé avec son meilleur ami.
- scène 3 : il prépare sa vengeance...
...et ainsi de suite pour les autres scènes.

Lorsque cela est fait, la rédaction d'un livre se résume à une suite de rédactions, scène par scène, chacune ayant son sujet défini grâce au singe. Ecrire est faire évoluer votre histoire du stade de singe à celui d'homme.

Ecrivez avec des phrases courtes : votre style sera plus rythmé, plus agréable à lire. Les phrases trop longues proviennent en général d'une pensée confuse, dans laquelle les idées se bousculent.

Le texte sera rédigé avec Open Office. Il sera transformé en ebook avec Calibre, de préférence aux formats epub ainsi que Kindle. Ensuite, la mise en ligne ne prendra que quelques minutes avec Amazon, qui pourra aussi fournir le numéro d'ISBN. Très rapidement, votre oeuvre sera disponible sur la planète entière, en seulement quelques clics de souris.

Il est devenu très facile de diffuser un livre sur Internet

Désormais, les nouvelles générations de liseuses procurent un bon confort de lecture. Cela augmente la foule des lecteurs d'ebooks. Cadeaux d'anniversaire, offertes à Noël ou en toutes occasions, et même utilisées par les lycéens pour leurs études... Dans quelques années, presque tout le monde en aura une.

Des logiciels gratuits, tels que Open Office et Calibre, permettent aux écrivains de créer leurs livres électroniques sans bourse délier. De plus, les tutoriaux sont faciles à trouver sur Internet. Des forums donnent également des conseils pour écrire son livre, comment structurer une histoire, comment construire ses personnages, comment faire le plan.

Avec ces nouveaux moyens, il est devenu facile d'écrire un livre et le diffuser gratuitement. Les vrais obstacles appartiennent maintenant au passé.

Dès lors, une question se pose : faut-il protéger les éditeurs ? D'une part, le virage numérique ne les a pas épargnés. D'autre part, si tout le monde se mettait à écrire des ebooks gratuits, la plupart des maisons d'éditions devrait mettre la clé sous la porte. Seules les plus grandes subsisteraient, mais avec une diminution sensible de leur chiffre d'affaires.

Les outils de l'écrivain moderne

De nos jours, qui ne possède pas les outils de l'écrivain moderne :
ordinateur + connexion internet ?

Un véritable statut de l'écrivain auto-édité

Le problème est d'éviter que des auteurs ne diffusent leurs livres électroniques gratuitement, simplement pour le plaisir d'être lus, car l'on ne peut pas lutter contre la gratuité. En effet, impossible de faire moins cher que gratuit - mis à part payer les gens pour qu'ils lisent, ce qui serait contre-productif.

En résumé, plus il y aura de gratuité, moins il y aura d'éditeurs. Pourquoi les gens paieraient-ils pour quelque chose qu'ils peuvent avoir gratuitement ?

La seule manière serait de créer un véritable statut des écrivains auto-édités. Or, cela n'existe pas vraiment aujourd'hui. Selon les régions, les organismes sociaux et fiscaux donnent des réponses différentes. Un romancier ayant terminé son manuscrit n'a fait que terminer le plus facile : il lui reste à accomplir le parcours du combattant pour savoir quel sera son statut.

Par contre, il évitera tous ces soucis en diffusant son livre gratuitement.

L'auto-entreprise

Le plus souvent, cela se termine en auto-entreprise, comme si cet auteur était un artisan ou un commerçant, alors que ce sont des choses différentes. Aucun problème pour un garagiste ou un boulanger, mais il n'existe aucune case précise pour les gens de plume. D'autant plus que ceux-ci ont souvent une mentalité d'artistes...

On nage également dans l'absurdité : avec une auto-entreprise, un écrivain diffusant uniquement un livre numérique, se trouvera considéré comme faisant de la prestation de service.

A cela, il faut ajouter les divers soucis que peut éventuellement causer le RSI, qui s'occupe du recouvrement des cotisations sociales des indépendants. Voilà peu, un couple d'amis écrivains me racontait que, à chaque fois qu'ils recevaient un courrier de cet organisme, ils avaient un coup au coeur en se demandant à quelle sauce ils allaient être mangés.

On peut donc facilement comprendre les écrivains qui diffusent leur oeuvre à titre gracieux. De cette manière, ils évitent tous ces problèmes. De plus, en restant propriétaires des droits de leur ouvrage.

A cet égard, si un producteur de cinéma souhaite porter leurs pages à l'écran, ce sera le jackpot assuré pour leur auteur...

Quel serait le contenu de ce statut ?

Il est difficile de le savoir, étant donné que la volonté politique ne semble pas vraiment précisée dans ce domaine. Il serait peut-être temps pour les pouvoirs publics de mener une réflexion sur ce sujet, ne serait-ce que pour rappeler l'existence de l'exception française. Il serait ainsi possible pour un ministre de la Culture d'attacher son nom à un projet porteur d'avenir.

Egalement, Bercy y trouverait son compte. Actuellement, les donations sont taxées à 60 % en France. Or, un livre gratuit est une donation, puisque l'écrivain le donne à son lecteur qui ne paye rien. Mais, à cause d'Internet, les téléchargements d'ebooks à titre gracieux se comptent par millions.

Cela finit par représenter des sommes colossales qui, le plus naturellement du monde, échappent à l'impôt. Certains diront que c'est une raison supplémentaire pour lire des livres gratuits... De surcroît, cela diminue les taxes percues sur les maisons d'édition, puisque cela tire vers le bas le chiffre d'affaires de celles-ci.

A partir du moment où un véritable statut de l'écrivain auto-édité sera créé, les auteurs tentés par la gratuité reconsidèreront leur idée. Il faudrait que ce statut soit simple à gérer pour les écrivains en herbe, de manière à ne pas décourager les bonnes volontés. Ils pourraient ainsi remplir leur projet initial de se faire connaître, sans entraîner de conséquences fâcheuses et inquantifiables sur le reste du secteur.

Le problème de la concurrence avec la gratuité, pourtant sans solution par nature, pourrait ainsi se trouver résolu.

66 millions de Français : combien prêts à écrire gratuitement, si cela peut leur apporter la célébrité ? Puis l'argent qui viendra avec celle-ci ?

Annexes

I. Protéger votre oeuvre

Que votre roman soit gratuit ou pas, il faut que vous puissiez prouver être l'auteur afin de protéger vos droits, éviter le plagiat. Cela ne prend que quelques instants pour déposer votre manuscrit en ligne.

CopyrightDepot.com

CopyrightDepot existe depuis seize ans et est reconnu dans 168 pays dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada (liste ici). Leurs services sont moins onéreux qu'en passant par le classique dépôt de manuscrit à la SGDL, et surtout, il n'y a pas de limite de temps.

II. Obtenir un numéro ISBN

Il n'est pas possible de diffuser un livre si celui-ci n'a pas de numéro d'ISBN. Ce numéro s'obtient en passant par un organisme, l'AFNIL :

AFNIL formulaires ISBN

Il est préférable que vous disposiez de votre propre ISBN, plutôt que de l'ISBN qu'Amazon ou la Fnac vous attribueraient automatiquement. Pourquoi ? Parce que cet ISBN sera le vôtre et non celui d'Amazon ou de la Fnac. C'est facile à obtenir, il y a juste un formulaire à retourner par courrier, et les numéros ISBN vous sont donnés gratuitement. Ce serait donc bête de s'en priver !

III. Comment éditer un ebook sur Amazon ou Fnac

C'est vous qui fixez le prix de vente sur ces plateformes, mais vous avez aussi la possibilité de mettre « 0 euros » pour le prix.

A noter que, sur Amazon, la gratuité sans limite de temps d'un ebook, ne peut s'obtenir que si cet ebook est déjà diffusé gratuitement ailleurs. Donc, pour diffuser un ebook gratuitement sur Amazon, vous devez d'abord inscrire celui-ci sur Fnac Kobo en premier (par exemple), puis sur Amazon en deuxième. Ensuite seulement, vous pourrez demander à Amazon d'aligner le prix sur gratuit.
Davantage d'explications ici.

Connaître cette petite astuce m'a permis de proposer mon roman « L'or des justes » gratuitement sur Amazon, sans limite de temps, au lieu qu'il reste au minimum de 0,99 euros par défaut.

IV. Autres endroits où publier un ebook gratuit

Deux critères me semblent essentiels :
- la gratuité du service, autant pour les auteurs que pour les lecteurs ;
- un compteur permettant de savoir combien de fois votre roman a été vu ou téléchargé.
Les sites ci-dessous respectent ces deux conditions.

Notez toutefois que, dans le cas de editions999, la même personne a la possibilité de télécharger plusieurs fois le même livre, ce qui a tendance à exagérer le total du compteur. Ce problème ne peut guère exister sur monbestseller.com, puisqu'il faut impérativement se logger avant de pouvoir lire un roman.

V. Ebooks gratuits
Beaucoup de personnes consulteront cette page en cherchant des ebooks gratuits, puisque Google verra que cette expression a été souvent utilisée ici. Afin de ne pas les décevoir, voici une liste où ils trouveront ce qu'ils cherchent, constituée en une quinzaine de minutes seulement avec des moteurs de recherche.

VI. Le rating et les notes sur Amazon et autres plateformes de diffusion

Il existe des entreprises permettant de monter ou de descendre des notes, ainsi que d'obtenir des commentaires positifs. Payez et vous serez bien noté. Voilà pourquoi les notes ne signifient rien en réalité.

D'autre part, si vous voulez faire monter la note d'un livre plus rapidement, donnez une note basse à tous les livres mieux notés qui se trouvent devant.

Il s'ensuit que, si vous ne vous occupez jamais du rating de votre livre, il finira par tomber à une moyenne de 2,5 à 3, parfois même encore moins. En effet, il y aura toujours un auteur qui voudra passer devant un autre. C'est inévitable parce que c'est humain.

En tant que lecteur, ne vous faites donc pas une opinion à partir du rating. Un livre mal noté est un livre qui dérange, un livre excellent n'est pas forcément bien noté, un mauvais livre peut se trouver bien noté... La seule chose qui compte est le plaisir que vous avez à le lire !

En réalité, à chaque fois que nous donnons une note à un livre, nous sommes en train de nous juger nous-mêmes collectivement. En indiquant ce que nous sommes capables de comprendre et d'aimer, cela revient à prononcer notre propre sentence. Par exemple, si vous aimez les romans à l'eau de rose, le direz-vous à tous les gens que vous connaissez ?

Enfin, si vous êtes un auteur, n'oubliez jamais ceci : si l'on écoutait toutes les critiques, on n'écrirait plus jamais rien !