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Paris, une ancienne capitale de l'armurerie

par Christian Feron en Janvier 2017 - Réactualisé le 25/11/2019

Parfois, nos pas nous mènent devant d'anciens lieux dont la mémoire s'est perdue. En marchant dans les rues de Paris, nous passons devant des devantures sans penser à ce qu'elles furent autrefois. Pour certaines, des armureries...

Pourtant, Paris fut, indéniablement, une capitale armurière avec ses grands noms : Lepage, Lefaucheux, Vidier, Modé, Flobert, Devisme, Houllier-Blanchard, Léopold Bernard, Gastinne-Renette et tant d'autres... Sur place, il se fabriquait des bascules, des canons, des crosses, et l'on y inventait même de nouveaux mécanismes d'armes à feu. Les armuriers faisaient aussi venir des armes de Saint-Etienne et de Liège. La fermeture du banc d'épreuve de Paris en 1978 a été le point final de la production intrinsèquement parisienne.

Poinçon du Banc d'Epreuve de la ville de Paris

Poinçon du Banc d'Epreuve de la ville de Paris.

De nos jours, plus aucune arme de fabrication récente ne porte le poinçon de Paris. Pour un peu même, on pourrait se demander si aucune arme n'y a jamais été produite, tellement les traces des fabricants ont disparu...

Remarques
Cet article ne donne qu'un aperçu des commerces d'armes qui existèrent à Paris, tellement ils furent nombreux. Il n'était pas possible de les indiquer tous, notamment avec le nombre important qui a disparu depuis les années 1990.
 
Vers 1900, il existait plus de 120 de commerces dans le secteur de l'armurerie dans Paris intra-muros 1. En 2017, il n'en restait plus que 12 2.

Fauré Le Page

Au 8 rue de Richelieu, dans le premier arrondissement, se tenait la boutique de Fauré Le Page, célèbre armurier parisien connu, notamment, pour avoir distribué des armes à la foule pendant la révolution de 1830. Cela révèle que certains armuriers, à l'époque, étaient capables d'avoir une action politique, au lieu de se laisser lentement dépouiller de leur métier par l'Etat. Les origines de la maison remontent à 1716.

Fauré Le Page, 8 rue de Richelieu, en 1920

Fauré Le Page, 8 rue de Richelieu, en 1920.

Le magasin a changé plusieurs fois d'adresse : d'abord rue Baillif (actuellement rue des Bons Enfants), ensuite rue de Richelieu et maintenant 21 rue Cambon. Pendant une période, il a porté l'enseigne Saillard. De nos jours, Fauré Le Page n'exerce plus dans l'armurerie, pour se consacrer exclusivement à la maroquinerie. Toutefois, une question se pose : quelle estime auraient eu les fondateurs, pour les gestionnaires qui ont décidé de « rendre les armes » ?

Aujourd'hui, une boutique de vêtements a remplacé l'armurerie Fauré Le Page

Aujourd'hui, une boutique de vêtements a remplacé l'armurerie Fauré Le Page.

Gastinne-Renette

Au 39 avenue Franklin Roosevelt, dans le 8e arrondissement, l'armurerie Gastinne-Renette était connue pour son club de tir, ses pistolets de duel et sa réputation de luxe. Fondée en 1812, reprise en 1989 par le maroquinier Guené, elle ferma ses portes en 2002. C'était l'une des plus réputées de France, qui disposait d'un grand atelier que je connaissais à l'époque où je faisais les bronzages à la couche pour eux.

Le stand de tir de Gastinne-Renette en 1928

Le stand de tir de Gastinne-Renette en 1928.

L'histoire de cette armurerie commence en réalité pendant la Révolution Française, sous la Terreur. En 1793, M. Renette avait contracté un prêt pour s'établir rue de Popincourt. Il mettra au point un procédé pour un meilleur emploi des poudres, qui sera mentionné dans le Traîté général des chasses à tir.

M. Renette s'installera aux Champs-Elysées en 1812, lors de son association avec M. Gastinne, militaire réformé consécutivement à de nombreuses blessures de guerre lors des campagnes napoléoniennes. Cette maison traversera ensuite les décennies malgré les grandes crises de l'histoire : révolution de 1830, de 1848, guerre de 1870, la Commune en 1871, puis la première et la deuxième guerre mondiale et enfin mai 1968. Gastinne-Renette survivra à tout cela.

L'armurerie Gastinne-Renette de nos jours : un coiffeur

L'armurerie Gastinne-Renette de nos jours : un coiffeur.

Aussi, la nouvelle de sa fermeture en 2002 fut comme un coup de tonnerre. Si une telle armurerie n'a pu faire autrement que de fermer, alors qu'en est-il des autres de moindre importance ?

Callens & Modé

Au 5 avenue de la Grande Armée, dans le 16e arrondissement, le magasin de Callens & Modé était placé dans la contre-allée. Il avait ouvert ses portes en 1956 pour fermer au début des années 1990. L'entreprise disposait d'un atelier bien équipé, avec une presse à penter de fabrication maison pour la conformation des fusils.

L'armurerie Callens & Modé : désormais un opticien

L'armurerie Callens & Modé : désormais un opticien.

Ayant travaillé en sous-traitance pour Callens et Modé pour les bronzages à la couche, j'avais eu l'occasion de visiter cet atelier, où les tireurs aux pigeons du Cercle du Bois de Boulogne venaient faire entretenir leurs fusils.

Les origines de l'armurerie Callens & Modé s'étendent plus loin dans le passé, avec l'armurier Charles Modé.

Modé-Pirlet

Au 91 avenue de Richelieu, dans le 2e arrondissement, se situait la maison Modé-Pirlet. Cette armurerie était installée dans un hôtel construit par Cartault pour le financier Pierre Crozat. Cet ensemble immobilier est inscrit aux Monuments historiques depuis 1975.

Personne n'a repris l'emplacement de Modé-Pirlet

Personne n'a repris l'emplacement de Modé-Pirlet, c'est le désert...

Publicité dans Le Petit Parisien, 1925

Publicité dans Le Matin, 1937

En 1913, Charles Modé avait racheté la société du célèbre fabricant Lefaucheux, puis Pirlet en 1924. C'était donc une maison très réputée. Cette armurerie s'est appelée Modé-Pirlet à partir de 1933. Mon grand-père y avait travaillé.

Pirlet

Au 24 rue du faubourg Saint-Honoré dans le 8e arrondissement, non loin du palais de l'Elysée, se situait l'armurerie Pirlet. Dans les années 1900, M. Pirlet employait, à cette adresse, une dizaine d'artisans pour réaliser la fabrication de fusils qui étaient alors très réputés. Son magasin avait subi un grave incendie en 1903, mais Pirlet avait continué à exercer ensuite.

Dans les années 1900 c'était l'armurerie Pirlet, aujourd'hui Hermès

Le magasin de produits de luxe Hermès a remplacé l'armurerie Pirlet.

Devisme

Au 36 boulevard des Italiens dans le 9e arrondissement, Devisme, armurier et inventeur, proposait ses pistolets, carabines et fusils dans les années 1850. Fabricant réputé, il avait même proposé certains de ses modèles à l'armée. De nos jours encore, ses fabrications sont très recherchées par les collectionneurs.

Devisme avait commencé au 12 rue Helder, où il avait été l'élève puis le successeur de l'arquebusier Deboubert.
Publicité de l'armurerie Devisme en 1857

Publicité de l'armurerie Devisme en 1857.

Dans les journaux de l'époque, les carabines de Devisme trouvaient une place dans l'imaginaire collectif pour aller chasser le lion, aussi étrange que cela puisse paraître aujourd'hui : « Si vous n'êtes pas à Paris, allez-y, cherchez Devisme, l'arquebusier, commandez-lui une carabine à deux coups, canons superposés [...] Réglez la carabine avec Devisme, et lorsque vous serez parvenu à marier vos balles à trente pas, tenez-là pour bonne. Ajoutez un pistolet qui réunisse les mêmes conditions qu'elle [...]
A peine avais-je épaulé mon fusil, que le lion se rapprocha par un petit bon de quatre à cinq pas qui allait probablement être suivi d'un autre, lorsque, frappé à un pouce au dessus de l'oeil droit, il tomba [...] Une autre balle, plus heureuse, trouva le coeur et le renversa, cette fois, raide mort. » (La chasse au lion, Jules Gérard, 1855 3)

Carabines de Devisme

Carabines de Devisme.

Devisme ne se contenta pas de réaliser des armes innovantes pour son époque. Dès 1840, il proposait des capsules qui détonaient sans éclater 4. Il travailla aussi sur la « Balle foudroyante », un projectile pour la chasse aux fauves qui explosait à l'impact, et qui contenait 6 grammes de poudre noire 5.

Une chaîne de restauration rapide a remplacé l'armurerie Devisme

Une chaîne de restauration rapide a remplacé l'armurerie Devisme.

Flobert

Au 12 boulevard Saint-Michel dans le 6e arrondissement, l'armurerie Flobert avait ouvert ses portes en 1889. Auparavant, elle était installée au 3 rue Racine à partir de 1855, puis du 10-12 boulevard de Sébastopol à partir de 1861. Sa dernière adresse a été au 37 rue des Mathurins. Les établissements Flobert ont finalement fermé en 1997, après 136 ans d'existence.

Publicité maison Flobert armes

 

La maison Flobert était bien connue pour ces pistolets et carabines de petit calibre à l'esthétique élégante, qui pouvait recevoir, selon les modèles, un pontet à volutes et un canon octogonal.

Carabine type Flobert classique

Carabine type Flobert classique

Ce fut également Flobert qui déposa le brevet de la cartouche à percussion annulaire dès 1849, ouvrant ainsi la voie aux munitions de calibre 22. L'idée d'utiliser une amorce pour propulser un projectile vient aussi de lui, ce qui donnera naissance plus tard à la cartouche Bosquette.

A la place de l'armurerie Flobert, une pharmacie

A la place de l'armurerie Flobert, une pharmacie.

Canonnerie Léopold Bernard

Nicolas Bernard, ancien chef ouvrier de la Manufacture d'Armes de Versailles, s'établit à Paris en 1821. Son fils aîné Albert Bernard s'installera à son tour dans la capitale en 1823, et sera le premier canonnier parisien à s'intéresser à la fabrication de canons au moyen de machines. Léopold, le frère cadet, ne sera pas en reste et participera activement à la tradition familiale 6.

Leur travail sera récompensé par de nombreuses médailles à l'exposition de Paris : médaille de bronze en 1839, d'argent en 1844 et 1849, médaille d'honneur en 1855, médaille d'argent en 1867. Il s'agissait de la fabrique de canons de chasse la plus prestigieuse de Paris.

Un canon Léopold Bernard éprouvé au Banc d'Epreuve de Paris

Un canon Léopold Bernard éprouvé au Banc d'Epreuve de Paris,
dont on reconnait aisément le poinçon caractéristique.

Dans sa fabrique, Léopold Bernard disposait de trois fours, l'un pour le corroyage des matières, un autre plus petit pour le laminage des damas, le dernier pour souder au cuivre les canons doubles. A cela s'ajoutait un martinet-pilon et un laminoir avec ses cylindres de rechange. En outre, il avait inventé une machine à raboter les canons, réglant les épaisseurs et donnant la courbe, qui fonctionnait avec son autorisation aux Manufactures Impériales d'Armes de Saint-Etienne, Châtellerault et Tulle.

Canon damas de Léopold Bernard

Canon damas de Léopold Bernard.

La fabrique changea plusieurs fois d'adresse : Passy de 1840 à 1855 ; 12 puis 49 rue de Villejust à Paris de 1870 à 1878 ; puis 129 avenue de Versailles, quai d'Auteuil. Plus tard, la canonnerie continuera sous forme de société anonyme des canons Léopold Bernard, le conseil d'administration étant composé d'Henri Fauré-Le-Page, Jules Gastinne et Henry Rieger.

Canonnerie Léopold Bernard 129 avenue de Versailles à Paris, emplacement en 2016

129 avenue de Versailles : la plus grande canonnerie parisienne se trouvait là.

Houllier-Blanchard

Houllier-Blanchard, arquebusier, s'était installé à Paris au milieu du 19e siècle. Sa fabrique était installée au 36-38 rue de Cléry. De nombreuses médailles d'or, d'argent et d'honneur ont récompensé son travail. Notamment, il avait un procédé pour protéger de l'oxydation l'intérieur des canons, en revêtant l'âme d'une couche de platine.

Superposé à percussion et canons octogonaux de Houillier et Blanchard

Superposé à percussion et canons octogonaux de Houillier et Blanchard, milieu du 19e siècle.

Il décéda à son domicile parisien en 1871, laissant son fils Jacques Houllier comme unique héritier. Tous deux avaient formé, en 1867, une société en nom collectif pour l'exploitation d'une maison de commerce d'armes à Odessa.

Publicité Houllier-Blanchard en 1895

Publicité Houllier-Blanchard en 1895.

Plus tard, Charles Pidault fut le successeur de Houllier-Blanchard. En 1895, la maison était établie au 25 rue Royale dans le 8e arrondissement.

L'enseigne de Houllier-Blanchard a été remplacée par celle de Chanel et Dior

L'enseigne de Houllier-Blanchard a été remplacée par celles de Chanel et Dior...

Vidier

En 1902, le fabricant Vidier était installé au 1 bis, rue de Chaillot. Il proposait à sa clientèle le fusil Czar, qui comportait une nouveauté exceptionnelle pour l'époque : le canon monobloc. Entièrement fabriqué à Paris, ce fusil était notamment distribué par les armureries Gondré, Scherrer et Chevalier.

Publicité Vidier dans La vie au grand air, 1902

Publicité Vidier dans La vie au grand air, 1902.

Les recherches sur les canonneries monobloc avaient débuté dès 1897 au moins : « Des expériences réïtérées de tir ont eu lieu à Paris, à la canonnerie Léopold Bernard ; le 16 juillet, devant les membres du conseil d'administration de la canonnerie Léopold Bernard, MM. Fauré Lepage, Gastinne Renette et Riéger [...] Chaque fois les fusils étaient chargés et tirés par M. Vidier, armurier [...] Les canons monobloc ont montré une supériorité marquée au point de vue du groupement et de la portée des plombs ». 7

Les fusils Vidier étaient entièrement fabriqués à Paris

Les fusils Vidier étaient entièrement fabriqués à Paris,
comme l'indique cette publicité de 1900.

Vidier fut le dernier fabricant qui usinait ses bascules sur Paris. Sa production, d'excellente qualité, était réputée. Vidier disposait aussi, pendant une période, d'un atelier vers la porte de La Villette. Plus tard, l'armurerie Vidier sera déplacée au 24 rue Pierre 1er de Serbie, dans le 16e arrondissement, comme l'atteste la boite de cartouches ci-dessous.

Boite de cartouches Vidier

 

De nos jours, les fusils de Vidier à canons monobloc apparaissent parfois dans des enchères, ultime témoignage du dernier fabricant qui produisait entièrement ses fusils à Paris.

Un magasin de vêtements a remplacé l'armurerie Vidier

Un magasin de vêtements a remplacé l'armurerie Vidier.

La maison Lefaucheux

Pour la plupart des chasseurs, le nom de Lefaucheux évoque d'abord le fameux fusil de chasse basculant tirant des cartouches à broche. Quel armurier n'en a jamais tenu un en mains, consécutivement à une demande de restauration d'un collectionneur ? Casimir Lefaucheux avait déposé le brevet de la cartouche à broche en 1827. Il s'ensuivra toute une production de fusils tirant cette munition, pas seulement à Paris, mais aussi à Saint-Etienne et à Liège. C'est probablement l'arme d'épaule de collection la plus répandue dans les campagnes.

Fusil Lefaucheux, ouvert et chiens au cran de sûreté

Fusil Lefaucheux, ouvert et chiens au cran de sûreté.

Eugène Lefaucheux suivra les traces de son père dans le monde de l'armurerie, avec un révolver dont il déposera le brevet en 1854, et qu'il produira ensuite pour l'armement de la Marine. Les premiers modèles seront fabriqués à Paris, rue Lafayette, dans un atelier qui occupera jusqu'à 225 ouvriers. Ce modèle sera également produit à la Manufacture d'Armes de Saint-Etienne. En 1856, Eugène Lefaucheux déposera le brevet d'un petit révolver à broche en calibre 7mm, qui connaîtra un grand succès parallèlement à la version civile du modèle 54.

Couverture d'un catalogue Lefaucheux

Couverture d'un catalogue E. Lefaucheux.

D'une part se trouvait donc une maison Lefaucheux créée par M. Lefaucheux père, dont héritera sa veuve, et qui sera dirigée ensuite par son son gendre, M. Laffiteau, en société avec Henry Rieger. D'autre part, la maison Eugène Lefaucheux, dont le nom de famille était précédé d'un « E » afin d'éviter la confusion entre les deux entreprises.

Les anciens locaux de Lefaucheux sont devenus un établissement financier

Les anciens locaux de Eugène Lefaucheux rue des Victoires
sont devenus un établissement financier.

Afin d'éviter les méprises entre les deux établissements, Henry Rieger fera paraître en 1884 une publicité dans le quotidien Le Matin, tout en indiquant clairement de quelle branche il était le successeur.
Publicité Lefaucheux dans Le Matin en 1884

Publicité Lefaucheux dans Le Matin en 1884.

De nos jours, l'ancienne maison Lefaucheux de la rue Vivienne aurait pu devenir un magasin quelconque, comme cela se produit si souvent sur Paris. Un curieux hasard du destin en a voulu autrement : maintenant s'y trouve l'armurerie de la Bourse, dirigée par Yves Gollety, président de la Chambre Nationale Syndicale des Armuriers (CSNA).

Une exception : l'ancien magasin Lefaucheux est resté dans le monde de la chasse et du tir, devenu l'Armurerie de la Bourse

Une exception : l'ancien magasin Lefaucheux est resté dans le
monde de la chasse et du tir, devenu l'Armurerie de la Bourse.

Lepage Frères

L'armurerie Lepage Frères ouvrit ses portes à Paris en 1823, proposant à sa clientèle un grand choix, incluant des armes venues de Liège et de Saint-Etienne. Même si cette maison fournissait des fusils réputés, elle faisait aussi appel à la production étrangère pour casser les prix. Les observateurs de l'époque ne manquaient pas, dans ce cas, de prévenir leurs lecteurs sur la piètre qualité :

« Pour 5 francs, la maison Lepage Frères donne un fusil à un coup ; pour 16 francs, un fusil à deux coups. N'avions-nous pas raison d'employer le mot fabuleux pour rendre notre pensée ? [...] Pour nous, nous hésiterions longtemps avant de nous servir d'un fusil, même de 23 francs, et nous sommes persuadé qu'il en serait ainsi des fabricants eux-mêmes » 8

Galerie de la fabrique d'armes de Lepage Frères

Galerie de la fabrique d'armes de Lepage Frères en 1859.

Lepage Frères livrait aussi des fusils de belle qualité qui font la joie des collectionneurs de nos jours, tel que ce superposé à percussion superposé et à canons damas finement décoré. En d'autres termes, chez eux, il y en avait pour toutes les bourses.
Fusil Lepage Frères superposé à percussion

Fusil Lepage Frères superposé à percussion.

Lors de l'insurrection de mai 1839, leur dépôt du 22 rue Bourg-l'Abbé avait été attaqué par un groupe d'environ trois cent émeutiers. Ceux-ci pillèrent le magasin en se passant les armes par les fenêtres du premier étage. Beaucoup repartirent en emportant, chacun, trois ou quatre pistolets et fusils, tellement le stock regorgeait d'armes. L'insurrection fut un échec, l'armurerie des frères Lepage fut mise à sac pour rien. De toutes manières, comment les employés auraient-ils pu résister face à plusieurs centaines de personnes ? 9

La plus ancienne photo de barricades parisiennes en 1848

Ci-dessus, la plus ancienne photo de barricades parisiennes
date de 1848, cela donne une idée de Paris à cette époque.

La maison Lepage Frères se trouvait 12 rue d'Enghien, dans le 10e arrondissement, jusqu'en 1860. Par la suite, elle sera successivement reprise par Lepage et Chauvot (1870-1880) ; Chauvot-Lepine-Piot-Lepage (1885) ; Piot-Lepage et Lepine (1887-1890) ; puis finalement Piot-Lepage à partir de 1890, avec une nouvelle adresse au 12 rue Martel, toujours dans le 10e arrondissement. Piot-Lepage, devenu grossiste pour armuriers, fermera ses portes au début des années 1980.

A la place de Lepage Frères rue d'Enghien, un cybercafé

A la place de Lepage Frères rue d'Enghien, un cybercafé.

Piot-Lepage, dernier successeur de Lepage Frères : une brocante

Piot-Lepage, dernier successeur de Lepage Frères : une brocante.

Geerinckx

Dans les années 1860, Geerinckx, successeur de Gauvain arquebusier, tenait boutique au 93 boulevard de Montparnasse. Il disposait également d'un pas de tir au pistolet.

Le pas de tir au pistolet de Geerinckx

Le pas de tir au pistolet de Geerinckx.

Geerinckx fournissait des armes d'une finition sobre pour l'époque, mais savait bien établir les mécanismes qu'il livrait à sa clientèle, ce qui lui valait une bonne réputation dans la capitale.

Carabine de Geerinckx à percussion et à canon octogonal damas

Carabine de Geerinckx à percussion et à canon octogonal damas.

L'Almanach de l'étranger à Paris, qui donne seulement cinq adresses d'arquebusiers parisiens, le référençait juste en dessous de Gastinne-Renette et disait de lui :

« L'un des rares arquebusiers chez lesquels on fabrique encore des fusils et des pistolets de tir entièrement à Paris. Maison de confiance, à des prix modérés » 10

Ancien emplacement de Geerinckx, successeur de Gauvain

Ancien emplacement de Geerinckx, successeur de Gauvain.

Aux armes de Saint-Jean

Au 126 rue Lafayette dans le 10e arrondissement, à quelques pas de l'ancien siège du Parti Communiste, Aux armes de Saint-Jean existait depuis au moins 1936. Dans les années 1970, le propriétaire du magasin avait été tué derrière son comptoir par des malfaiteurs. L'armurerie est ensuite restée fermée, laissée avec une partie de son stock derrière le rideau de fer, pendant une dizaine d'années.

Publicité Bisson Saint-Jean dans Le Figaro en 1936

Publicité Bisson Saint-Jean dans Le Figaro en 1936.

Finalement, le fonds a été vendu à la fin des années 1980. Jusque-là, les passants ont vu les belles lettres d'or sur fond noir « Aux armes de Saint-Jean » pendant des années, au dessus de la boutique définitivement close.

Hier une armurerie, aujourd'hui un magasin de e-cigarettes.

Hier une armurerie, aujourd'hui un magasin de e-cigarettes.

Ateliers Saint-Eloi

Fondés en 1978, les Ateliers Saint-Eloi produisirent des armes fines et de luxe pendant un quart de siècle. Ils étaient installés au 86 avenue Jean-Jaurès à Pantin, pour ainsi dire à Paris, dont ils n'étaient séparés que de quelques centaines de mètres.

La signature des Ateliers Saint-Eloi à Paris

La signature des Ateliers Saint-Eloi à Paris

L'entreprise était située à côté du carrefour des Quatre-Chemins, un quartier qui avait beaucoup changé à cause des politiques de diversité et de mixité sociale. Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur ce fabricant, cliquez ici : Ateliers Saint-Eloi.

86 avenue Jean-Jaurès à Pantin

Au 86 avenue Jean-Jaurès, vous ne pourrez plus acheter une arme. Par contre, vous pourrez manger un kebab.

Qui pourrait croire que, vers 1910 à cet endroit, se trouvaient un casino-cinéma et des enfants qui jouaient au cerceau dans la rue ? Et pourtant...

Pantin Quatre-chemins vers 1910

Surprise : Pantin Quatre-Chemins, avant, c'était ça

Armes Gambetta

Armes Gambetta se trouvait 8 bis rue Belgrand dans le 20e arrondissement de Paris. Cette boutique avait été tenue par Olivier Fayot, armurier diplômé de l'école de Liège, de 1993 à 2005.

Une image symbolique de l'armurerie parisienne ? A une époque où les radis ne piquent plus, à quoi bon s'étonner...

Cartoucherie Gévelot - SFM

La ville d'Issy-les-Moulineaux, à proximité immédiate de Paris, était extrêmement liée au monde de l'armurerie parisienne, d'une part à cause de la présence du Banc d'Epreuve de Paris, mais aussi de la cartoucherie Gévelot. Celle-ci fournira ses munitions à des générations entières d'armuriers, de chasseurs et de tireurs.

Boite de cartouches Gévelot cal.16

Boite de cartouches Gévelot cal.16.

L'invention de la cartouche à fulminate remonte aux années 1820 avec Joseph Marin Gévelot. Depuis 1816, il s'était établi à Paris en qualité de « armurier, arquebusier, fourbisseur et ceinturonier » rue Saint Denis. Il produit des amorces en série à partir de 1820. En 1823, il pose le brevet de l'amorce au fulminate de mercure. En 1825, il n'installera pas sa fabrique à Paris à cause des risques d'explosion, préférant les bords de Seine à Issy.

Panoramique de l'usine Gévelot

Panoramique de l'usine Gévelot.

En 1867, la cartoucherie emploie 500 ouvriers. En 1898, elle dispose de 50 bâtiments répartis sur 7 hectares. En 1901, une explosion fera 18 morts dans l'atelier de chargement des cartouches de guerre. L'usine sera également inondée lors de la crue de la Seine de 1910. Tout cela n'empêchera pas l'entreprise d'atteindre son apogée en 1930, avec 3000 employés travaillant pour le national et l'international.

Sortie de l'usine Gévelot

Sortie de l'usine Gévelot.

L'entreprise déposera le bilan en 1980, n'ayant jamais pu totalement se remettre du grand incendie qui avait ravagé l'usine en 1973 11.

Incendie de l'usine Gévelot en 1973

Incendie de l'usine Gévelot en 1973.

De nos jours, Gévelot existe toujours sous forme de groupe international spécialisé dans la forge de précision pour l'automobile, et a complètement abandonné la fabrication de munitions.

Portail de l'ancienne usine SFM - Gévelot

Portail de l'ancienne usine SFM - Gévelot

Le dépôt parisien de Manufrance

Il serait difficile de parler de l'armurerie parisienne sans faire mention de la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne, tant elle fut incontournable pendant près d'un siècle, à partir de 1885. En effet, elle fut présente dans la capitale dès 1892, avec un immense dépôt que tous les parisiens connaissaient bien, situé au 42 rue du Louvre dans le 1er arrondissement, à côté de la Bourse du Commerce.

Dépôt de la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne à Paris

Dépôt de la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne à Paris.

Un atelier de la Manufacture d'Armes et Cycles à Saint-Etienne

Politiquement incorrect : une photo du temps du plein-emploi. Entrer à la Manu pouvait signifier une place à vie.

En 1970, 65 % de la production d'armes de chasse en France était assurée par Manufrance. Les fusils Simplex, Robust, Idéal et Falcor marquent les années d'or de la manufacture stéphanoise. En 1976, l'entreprise employait 3800 personnes et disposait d'une centaine de magasins. Qui pouvait imaginer qu'elle s'écroulerait un jour ?

Un classique : le fusil Robust de Manufrance

Un classique : le fusil Robust de Manufrance.

Malheureusement, des problèmes financiers graves apparurent dans les années 1975, conduisant au dépôt de bilan en 1985. Ce fut probablement l'un des pires désastres de l'économie stéphanoise ainsi que de l'industrie française.

Le 42 rue du Louvre aujourd'hui, sans Manufrance

Le 42 rue du Louvre, désormais sans Manufrance, abrite des logements sociaux 12 depuis 2014.

En 1988, Jacques Tavitian rachète l'essentiel des marques et brevets. Grâce à son impulsion pendant plus d'une vingtaine d'années, Manufrance a connu un renouveau avec l'ouverture d'un magasin rue de Lodi à Saint-Etienne en 1993, un site internet et un catalogue de vente par correspondance. De nouveau, il est possible d'acheter un Robust tout neuf chez Manufrance, comme autrefois... 13

In Memoriam : ceux que j'avais oublié...

Pour mémoire, voici une liste non-exhaustive d'importateurs et de grossistes en armes de chasse et de tir qui étaient à Paris. Les dates de fermeture indiquées sont approximatives :

  1. Manufacture franco-belge, J.A Carrat, maison fondée en 1900, 1 rue de Compiègne à côté de la Gare du Nord. Fermé vers 1990.
  2. le dépôt de Humbert CTTS boulevard Péreire a été fermé vers 1990.
  3. René Cosson S.A, 16 rue des Tournelles, fondé en 1878 et fermé vers 1991. En plaisantant, on disait qu'il existait depuis la Révolution Française.
  4. Raymond Gérand S.A, 22 rue de Rottembourg, importateur des carabines Weatherby.
  5. Henri Betegnies, 10 rue de l'Orme à Paris, fermé vers 1992.
  6. Franchi-France était installé dans la zone industrielle Silic à Rungis et a fermé en 1993. L'importation a été reprise par les Ets Humbert installés à Veauche (42).
  7. Browning-Winchester France, implanté dans la zone industrielle de la Cerisaie à Fresnes (94), a fermé en 1994. L'activité a été déplacée à Saint-Etienne, consécutivement à la reprise par Giat industries.
  8. Flobert, rue des Mathurins à Paris, a fermé en 1997. C'était notamment l'importateur des carabines allemandes Erma Gmbh.
  9. Rousseau et Cie, 5 rue Pierre Chausson, locaux situés non loin de la station de métro Jacques Bonsergent, fermé vers 1998.

Pour comprendre les raisons, il faut se replonger dans le contexte de l'époque : première guerre du Golfe en 1991 et nouvelles réglementations en préparation. Les grandes entreprises du secteur avaient déjà pris la mesure de la tendance.

Ancien emplacement de l'importateur Henri Betegnies

L'ambassade du Burundi occupe désormais l'ancien hôtel particulier de l'importateur Henri Betegnies.

Ancien emplacement de la Manufacture franco-belge

La rue de Compiègne sans la Manufacture franco-belge, mais avec un sex-shop, preuve que Paris est bien protégé ?

Cela n'a pas été sans conséquences, car leur disparition a supprimé toute possibilité d'approvisionnement local pour les armuriers parisiens. De nos jours, il n'y a plus aucun importateur, grossiste ou fabricant d'armes dans la capitale française, ni à proximité.

Cela peut se comprendre : embouteillages quotidiens, stationnement malaisé, insécurité, charges élevées, pollution ; territoires de chasse lointains ; obligation d'utiliser une voiture suffisamment récente pour circuler, payer une vignette Crit'Air, voiture diesel interdites à partir de 2024, voitures à essence interdites à partir de 2030...

De plus, dans le cadre de l'Union européenne, il faut ajouter « l'évolution » de la réglementation sur les armes, ce qui ajoute des incertitudes. Dans ces conditions, peut-on raisonnablement conseiller à un armurier de s'installer à son compte sur Paris ?

En France, plus de la moitié des armuriers ont disparu depuis les années 1950, notamment à cause du cadre législatif qui s'est progressivement durci. Cela montre que les hommes politiques ont réellement le pouvoir de faire disparaître une profession, même si celle-ci est indispensable à la survie : si vous aviez à défendre votre famille, une arme à feu serait plus efficace qu'un couteau de cuisine, non ?

 

Nota bene
Le secret d'une armurerie rentable : Une région avec un bon pouvoir d'achat, des territoires de chasse convenables, des clubs de tir et de ball-trap en nombre suffisant, avoir des racines locales... et aussi pouvoir se garer facilement et gratuitement, ce qui n'est guère le cas à Paris.

Notes et sources

  1. Annuaire almanach du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration, 99e année, Didot bottin, 1896. Voir ici
  2. Voir le nombre d'armureries parisiennes en 2017/2018
    et le nombre d'armureries en France en 2018
  3. La chasse au lion, Jules Gérard (Le Mousquetaire, 1855) Extrait
  4. 4e exposition des produits des membres de l'Académie de l'Industrie, à l'Orangerie des Tuileries en 1840, page 67. Extrait
  5. Le Génie industriel : revue des inventions françaises et étrangères, 1857, T.14, page 130. Extrait
  6. Exposition universelle de Londres, 1862. Rapports des délégués ouvriers parisiens, page 787. Extrait
  7. Le Temps, n° 13219, 12 août 1897, page 7 du supplément. Extrait
  8. Le travail universel, T.2, 1856, page 98. extrait
  9. Attentat des 12 et 13 mai 1839 série 1, France, Cour des pairs, Imprimerie Royale (Paris), 1839-1840, page 279. Extrait
  10. Almanach de l'étranger à Paris, 1867, page 16 et 17. extrait
  11. Voir le documentaire « Sauver ou périr » de Planète+, partie 1, 2013. Lien Dailymotion
  12. « Entre bureaux et logements, le 42 rue du Louvre est un modèle de réversibilité ». Article
  13. Si vous cherchez un Robust, inscrivez « fusil robust » dans le champ de recherche du nouveau site Manufrance.